J’ai encore en souvenir ma grand-mère, une femme de tête qui avait passé plus de 50 ans avec son mari. Je la revois à l’hôpital où son mari est en soins intensifs. Il nous supplie de l’aider à partir car il souffre trop. Les médecins ne veulent pas le mettre sous morphine de peur, disent-ils, qu’il ne meure. Or, il est DEJA mourant ! Aberration d’un système médical qui se protège avant de penser au confort du patient...
Mon grand-père s’inquiète pour sa femme. C’est normal, il a passé presque toute sa vie avec elle. Il a peur qu’elle ne se fatigue en venant le voir. Et elle, se plaint du trajet et de l’inconfort. Tandis que de mon côté je peste... Submergée par la peine, je vois bien qu’il n’attend qu’un mot de sa part, une autorisation peut-être pour enfin lâcher prise et s’autoriser à faire le grand saut, à se laisser couler, à voir cesser toutes ses souffrances.
Alors, je prends mon courage à deux mains et sur le chemin du retour j’exhorte ma grand-mère à ouvrir son coeur à cet homme qui l’a accompagnée si longtemps. Et là, surprise, elle ne sait quoi lui dire. J’évoque qu’elle peut le remercier pour le chemin parcouru ensemble, pour l’amour qu’il lui a donné. Peut-être peut-elle lui dire aussi qu’elle l’aime, si c’est encore juste. En tout cas, je l’invite à lui dire « au-revoir» et à le rassurer sur le fait que cela se passera bien pour elle.
Le lendemain, miracle. Elle entre dans la chambre d’un pas décidé et les larmes aux yeux. Je m’éclipse. Je vois qu’elle est prête à dire des mots qu’elle n’a peut-être jamais dits. Prête à lui dire qu’il peut partir et qu’elle saura prendre soin d’elle avec notre aide, que ça va aller et que si quelque chose existe au-delà de ce passage, peut-être qu’ils se retrouveront.
Quelques jours plus tard, il rendait son dernier soupir...
Je voulais partager avec vous cette expérience de vie. Je sais combien c’est difficile de voir partir ceux que l’on aime. Mais pour eux, c’est aussi difficile de nous laisser et de partir en paix. A nous de les y aider, si nous le pouvons et comme nous le pouvons. A nous de poser les mots qui éviteront bien des regrets et de montrer par cet acte suprême d’amour notre compassion.