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Se reconstruire après un inceste

Pas évident de se réconcilier avec soi-même après un inceste et de faire la paix avec une famille qui n’a pas assumé son rôle protecteur. Entre déni ou oubli, auto-sabotage ou schémas de reproduction familiale, la voie de la reconstruction passe par le fait de reconnaître ce qui a été vécu et de recontacter son innocence.

Violette a 35 ans. Elle est réservée et manque de confiance en elle. Ses formes féminines sont peu développées, conséquences d’un passé d’anorexie et de boulimie. Son attitude vis à vis des hommes oscille entre l’évitement et la provocation. Elle est célibataire et a surinvesti son activité professionnelle où elle a du mal à prendre sa place. Quand elle a une relation amoureuse, elle garde le contrôle tant dans sa sexualité, assez frustrante, que dans la relation. Elle coupe le lien dès que son compagnon commence à parler de famille et d’enfants. 

 

Catherine a 48 ans et souffre d’obésité et de dépression avec une tendance obsessionnelle à la toilette. Elle est mariée et mère de famille et s’angoisse beaucoup pour ses enfants qu’elle surprotège. Elle est très complexée et n’ose prendre la parole lors des réunions de parents d’élèves. Elle se juge peu séduisante et peu branchée par le sexe ce qui l’a amenée à éviter progressivement tout contact sexuel avec son compagnon.

 

Ces deux femmes sont porteuses de symptômes psychologiques, relationnels et physiques caractéristiques de l’inceste (bien qu’on puisse retrouver ces symptômes avec d’autres histoires de vie) : anorexie/boulimie, arrêt de la croissance, obésité (pour se cacher), trouble obsessionnel compulsif de nettoyage (car se juge impure), dépression, sexualité appauvrie, problématique de place, questionnement sur le féminin, surprotection des enfants existants ou potentiels. Toutes deux ont été abusées dans leur enfance, l’une par son père, l’autre par son frère aîné.

 

L’inceste d’un enfant intervient toujours sur un terrain propice : absence d’un parent, manque d’affection, dysfonctionnement sexuel ou émotionnel du couple parental, reproduction d’un abus subi par l’un des parents, etc. Il serait vain de condamner rapidement l’abuseur sans s’attacher à décoder le système familial dans son ensemble. Car si l’enfant a été abusé par l’un des parents, il n’a pas non plus été protégé par l’autre. Bien sûr, l’inceste peut prendre d’autres formes. Plus tabou encore, l’inceste commis par la mère sur sa fille ou son fils ou encore l’inceste entre père et fils.

 

Le premier pas vers la reconstruction intérieure passe par la reconnaissance et l’acceptation de ce qui a été vécu et des conséquences. Cela signifie replonger dans ses souvenirs et recontacter la petite fille blessée en soi, lui faire une place dans son cœur avec tous les sentiments dont elle est porteuse : peur, honte, culpabilité, colère, sentiment de souillure, de trahison ou d’orgueil (d’avoir été « choisie »). Peur de révéler le secret et de briser le statu quo familial, peur que la vérité ne soit rejetée et d’être exclue, honte d’avoir subi, honte de n’avoir rien dit ou parfois d’avoir dit et d’en avoir subi les conséquences, culpabilité d’avoir fait quelque chose de mal, voire croyance qu’elle a pu le provoquer, culpabilité d’avoir ressenti une forme de plaisir psychologique (quelqu’un m’aime) ou physique (car le corps est sensible), culpabilité d’avoir ressenti de la curiosité, culpabilité d’avoir dû mentir ou d’avoir dû se taire, colère contre soi, contre l’abuseur, colère souvent inconsciente contre ceux qui ne l’ont pas protégée…

 

Le second pas consiste à redonner leur part, de façon symbolique, aux différents protagonistes : le parent abuseur et l’autre parent en arrière-plan , complice inconscient ou conscient. En constellation familiale, il s’avère souvent libérateur pour l’enfant de dire au représentant de la mère (si c’est le père l’abuseur) « Je l’ai fait bien volontiers à ta place ». Bien que cela puisse choquer la morale, cela met en lumière la co-responsabilité de la mère et l’amour sacrificiel de l’enfant. Parfois, l’enfant se sacrifie inconsciemment pour éviter que la famille n’éclate, ou bien il est offert en compensation d’un déséquilibre entre le donner-recevoir au sein du couple (lorsque ce que donne le père n’est pas reconnu par la mère, par exemple). Cette étape est très difficile pour l’ex-enfant car il a tendance à protéger la mère et à se croire coupable de tout ce qui lui est arrivé. Se pardonner et prendre conscience que ce qui s’est joué dans la famille est une tentative d’amour déviée apporte une forme d’apaisement.

 

Ensuite, l’ex-enfant peut exprimer ses sentiments (colère, tristesse…) au père abuseur et lui redonner symboliquement la responsabilité de ses actes. Cela lui permet de reprendre sa place d’enfant et de sortir de l’adultisation précoce, conséquence de l’inceste. En effet, se retrouver « partenaire » du père inverse les rôles et fait perdre le statut d’enfant. Cela créé beaucoup de confusion voire une situation de supériorité vis à vis de la mère que l’enfant se fera payer ultérieurement. Intenter un procès au père pour ce qu’il a commis ne suffit pas à libérer l’(ex)-enfant et cela occulte la co-responsabilité de la mère. En revanche, prendre ses distances vis-à-vis du père, le mettre en face de ses responsabilités, lui rendre ce qui lui appartient (la faute et ses conséquences) et reprendre sa liberté s’avère libérateur.

 

Ensuite, il s’agira de recontacter son intégrité et son innocence qui sont restés intactes. En dépit de l’enfance dérobée, l’adulte a su développer des stratégies de survie et des ressources. Il conviendra de faire le tri et de ne conserver que ce qui est au service de son évolution.

 

Toute expérience de vie une fois transmutée peut s’avérer un fabuleux levier d’évolution. Cela ne cautionne pas ce qui a été subi mais cela peut permettre de grandir et d’éviter que la roue des abus ne continue à tourner pour nos descendants.

Sylvie Bergeron - article publié dans Rêve de Femmes en 2014

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